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La minorité qui emmerde une majorité ...

Coup de gueule - Le 19/06/2014

Neuvième jour de grève à la SNCF. La CGT et Sud Rail reconduisent leur grève. Autant dire que ça va encore faire des heureux !

Le problème, c'est qu'ils ont tellement fait grève que maintenant, tout le monde s'en fout de savoir pourquoi. La seule chose qu'on retient, c'est qu'ils sont encore en grève. Et apparemment, c'est pour quelque chose d'hypothétique.

Je suis d'habitude un défenseur de la SNCF. Je tempère la ferveur anti-cheminote du français moyen, celle qui dit que les trains sont toujours en panne, ou toujours en retard. Mais je ne peux pas défendre l'entreprise quand elle ne fait rien pour corriger les retards récurrents de certaines lignes alors que rien ne justifie ce retard sinon un problème d'organisation. Je ne peux pas défendre l'entreprise quand une minorité de son personnel prend la parole au nom de tous (alors que dans ce "tous", peu sont d'accord avec les propos), et pour quémander des avantages qui ne concerneront que cette minorité, et même parfois une minorité dans la minorité ! Épique donc ...

La SNCF, comme toutes les autres, est soumise à la crise. Alors la crise, on lui fait dire ce qu'on veut, et on en profite pour faire n'importe quoi, mais quoi qu'il arrive, le contexte et la frénésie ambiante impose de prendre des mesures. La SNCF doit donc prendre des mesures. La complexité de la SNCF réside dans son statut : établissement public d'un côté, holding de l'autre, le mammouth SNCF joue sur deux tableaux. D'abord le métier d'origine de la SNCF, qui consiste à faire rouler des trains sur des infrastructures ferroviaires, puis les dérivés absorbés dans l'aspect privé du Groupe SNCF, comme le feu-Sernam, Géodis, la CNC et pas mal d'autres. Si la partie "publique" est encore sous contrôle étatique, les branches privées ont énormément grossies. Et on arrive à des situations où la privatisation tant réclamée par les français pointe le bout de son nez.

Elle est déjà en marche la privatisation ! On ne la voit pas distinctement mais ça fait des années qu'elle suit son cours. La création des marques sur les trains (TGV, TER, Téoz, Ouigo, iDTGV, ...), sur les infrastructures (Gares et connexions, qui est une branche à elle seule) et sur d'anciennes marques récupérés et mutualisées dans une autre branche imposante appelée SNCF Géodis, cette création donc témoigne d'une volonté de privatisation amenée progressivement par le Groupe SNCF, dans sa fonction de holding. Parce qu'iDTGV et son fonctionnement de vente exclusivement par Internet, son contrôle sur le quai, des moyens informatiques et des procédures distinctes du contrôle "classique" de la SNCF, montre clairement la rupture avec la SNCF traditionnelle. iDTGV sous-entend nettement la sous-traitance. Mais la palme du "je te sors par la porte et tu reviens par la fenêtre" est attribuée au fonctionnement du label TER. Les régions peuvent (ou pourront dans un avenir très proche) négocier l'opérateur qui fait circuler les TER dans ses frontières. La SNCF occupe la place historique, tel feu-France Telecom à l'ère de la privatisation des télécoms. Mais certaines régions, lassées par les piètres performances de la SNCF, avec le cortège d'arguments et de clichés qu'elle transporte contre elle (pardonnez-moi le jeu de mot), va perdre le marché au profit de Kéolis. Et rappelez-moi à qui appartient Kéolis ? Au Groupe SNCF ... Et bis repetita lorsque la Sernam et Fret SNCF ont perdu des parts de marché au profit de Géodis.

L'exploitation du réseau a été déconnecté de l'exploitant de la gare. Le réseau a été séparé de l'opérateur SNCF, reportant au passage une quantité importante de la dette de l'entreprise nationale SNCF vers l'établissement public RFF. Aujourd'hui, on parle même de réintégrer le réseau au groupe SNCF car presque deux décennies après, on se rend compte de la quantité d'argent, oserai-je le mot fictif, qui transite entre les deux entités.

Evidemment ça va se faire au prix de la réforme des statuts des cheminots ("Touche pas à mes privilèges !"), au prix d'une attendue réforme du fonctionnement de l'infrastructure ferroviaire. En pratique, ce n'est pas directement l'infrastructure qui va être réformée mais bien son fonctionnement. Faire et défaire, séparer le réseau de l'exploitant puis le fusionner.

Pourtant dans tous les commentaires que je lis un peu partout, on se rend bien compte que la désinformation faite pendant plus de vingt ans a parfaitement fonctionné. Les gens ont une haine viscérale contre tous les cheminots, sans distinguer les centaines de métiers du mammouth SNCF, et oubliant alors que seuls une petite minorités de conducteurs et de contrôleurs sont à la tête des cortèges de grévistes. Ils oublient très vite que les avantages des cheminots avaient une justification à l'époque et que la traduction aujourd'hui a été largement adaptée, même si on ne parle que des éléments restants. La gratuité des voyages est largement exagérée par les médias, et donc digérée et amplifiée par l'opinion publique. Et l'opinion publique, elle a de quoi s'étrangler ! Les conditions de travail et les salaires, primes et avantages divers font que les quelques métiers qui représentent les grévistes ne devraient pas avoir à se plaindre. Ils n'ont aucune connaissance des conditions des gens qu'ils transportent et devraient arrêter de viser toujours plus haut alors que tant de gens sont nivelés par le bas.

Il est de surcroît inadmissible que la mission de service publique pour laquelle l'entreprise publique SNCF (dans son aspect transport) ne puisse être rendue en raison de l'absence de certains de ses membres. D'autres corporations ont des obligations statutaires avérées alors que leur non-fonctionnement partiel n'impacte pas l'ensemble de l'économie française. Je pense, entre autre, aux militaires n'ayant tout simplement pas le droit de faire grève, ainsi qu'aux policiers et aux personnels de la santé publique pouvant être réquisitionnés ou sanctionnés, sans autre alternative. Alors, oui, les grévistes de la SNCF sont des emmerdeurs, en bloquant une partie non négligeable de l'économie française, en mettant en difficulté des gens déjà dans des situations délicates, en augmentant de manière démesurée le niveau d'exaspération global.

Sans leur retirer le droit de grève pour lequels nos ancêtres se sont battus longtemps, ils ont très probablement d'autres moyens de pression contre l'entreprise et contre l'État. Mais fervents partisants des méthodes soixant-huitardes, ils préfèrent, en bon français râleur, descendre dans la rue et bloquer la France (et essentiellement l'Ile-de-France) en faisant grève. On ne peut pas leur en vouloir finalement ! Ils obtiennent toujours gain de cause ! Pire encore, ils obtiennent des indemnités pour les jours de grève ! Et en faisant grève ! C'est tellement inconcevable pour d'autres membres du secteur public et pour tous les autres du secteur privé que, désormais, et comme je le disais en introduction, on se contrefout de savoir pourquoi ils font (encore) grève. On s'inquiète uniquement de savoir qu'il la font, et que ça va être un bordel inommable, qui va s'éterniser pendant des jours, jusqu'à ce que la France tombe à genoux. Ca c'est autant la redite de l'introduction que la conclusion.

Maintenant, et en guise d'annexe, il est quand même temps de distribuer cent balles dans le camp d'en face, chez les usagers et essentiellement chez les Franciliens. Le seul constat que les gens sont capable de faire, et il est pourtant légitime et largement non négligeable, c'est que les trains sont sales, que les trains sont en retard, que l'information ne circule pas, qu'on se sent en insécurité, et que "trop de gens ne payent pas alors que moi je paye un Navigo plein pot et que ça me coûte la peau des noix" ! Les Franciliens ne peuvent pas se rendre compte des trop nombreuses implications jusqu'au niveau politique du problème des transports en Ile-de-France.

La faute (vlan !) aux politiques pour avoir concentré des populations dans des ghettos, avec les problèmes de société qu'on connait aujourd'hui après plus de quarante ans d'évolution. Avec ça, on couvre l'insécurité dans les RER et dans les Transiliens en général.

La faute (re-vlan !) aux politiques (encore vlan ! Sur l'autre joue cette fois-ci) qui ont attendu des années avant de se rendre compte qu'il y a un problème de transport en Ile-de-France. C'est bien d'avoir enfin lancé le Grand Paris Express, seulement navré de vous apprendre qu'il arrive avec au moins quinze ans de retard ! On touche à un problème complexe qui couvre l'irrégularité chronique des réseaux Transiliens, ainsi que l'effet catastrophe du moindre grain de sable dans une mécanique chauffée à blanc, au bord de la rupture. Et du coup, par rebond (baf !) la SNCF elle-même qui aurait dû tirer le signal d'alarme sur la situation du nœud ferroviaire parisien et sa saturation avérée. La SNCF et son défaut d'appréciation du concept de "saturé". Car une ligne est saturée quand les voyageurs doivent attendre le train suivant tous les jours dans un sens et dans l'autre. Et que la saturation est déjà atteinte quand la plateforme est remplie. Dans la bouche de la SNCF et de la RATP, il faut attendre que les gens soient tassés, compressés, au point de ne plus fermer les portes, pour considérer que le train est saturé. En deçà, il est juste "chargé".

La SNCF et sa notion de saturation, parlons-en un peu. Une ligne est saturée lorsque la minute de plus passée à quai du train précédent influence LA circulation derrière elle. Car aujourd'hui, on en est rendu à un effet domino s'étalant sur des heures, où le retard d'un train en début de pointe vers sept heures du matin, s'étend au moins jusqu'à dix heures le temps de trouver des marches plus détendues. Double dose de baffisation pour la SNCF qui n'a pas crié suffisamment fort le risque de saturation et d'inconfort au profit de prétendues performances économiques, et aux politiques n'empruntant que trop occasionnellement les transports publiques pour s'en rendre compte eux-mêmes.

Et pour finir de rougir la joue de la SNCF, et tartiner un peu celle de la RATP, le problème, que je devrais écrire en lettres capitales, du RER B et de son partage entre deux entreprises qui n'ont pas fait d'effort pendant des années pour se parler et qui traine derrière elle un train (si j'ose encore enfoncer le clou sur les jeux de mots) de vilaines habitudes et de problèmes inhérents au fonctionnement en deux entités séparées. Même lorsque le MI 79 a été mis en service (et que ses défauts de jeunesse ont été corrigés), la B a été un nid à problèmes à cause de l'interconnexion à la Gare du Nord. Et même lorsque les conducteurs des deux réseaux se sont mis à assurer les relations de bout en bout, il y a encore et toujours des problèmes.

La faute aux gens (du moins et comme d'habitude à une petite minorité) qui n'ont aucune éducation et qui croient qu'en crachant comme des lamas sur les quais, dans les trains et sur les trottoirs, crachent sur la France et sur la SNCF. Mais ils ne crachent que sur l'outil qui les transportent, et leurs crachats sont peut-être ramassés par leur voisin de palier ou d'immeuble.

La faute à la France des Droits de l'Homme qui ne punit plus suffisamment sévèrement la petite délinquance. C'est pourquoi les dégradations des installations à quai, des installations embarquées, la fraude massive, jusqu'aux agressions gratuites vont s'intensifier, et sont déjà malheureusement incontrôlables. La police est impuissante : un délinquant est pris, gardé à vue, puis relâché avec une convocation devant un juge à laquelle il ne se présentera pas ou bien à laquelle on ne pourra lui dire que "petit polisson, va !" car les prisons sont pleines.

La SNCF a ses torts, et la minorité qui emmerde une majorité ne l'aide pas à redorer son blason. Mais les gens devraient avoir un regard critique et voir que nous sommes dans un malaise de la société et du monde. Les médias y sont pour quelque chose : non seulement ils ont une fâcheuse tendance à la déformation de l'information, mais en plus, ils en sont conscients car l'information déformée est vendeuse ! Et pour boucler la boucle, les gens, abrutis par des émissions de télé-réalité, censurés par des lois de bien-paraître où il ne faut parler ni des juifs, ni des homosexuels, ni des arabes, ni des catholiques, ni de personne, trouvent un ultime défouloir dans des "connards de cheminots encore en grève", critiquent les autres sans s'auto-critiquer, sans se rendre compte que leurs arguments (ou leur manque d'arguments) alimentent une spirale de haine, de tension, et de conflit.

Et pour finir avec cette séquence de distribution de giffles répartie entre médias, politiques et gens en général, je voudrais insister sur un sentiment de régression intellectuelle générale que je ressens. Et puisqu'on est dans cette période bachelière avec sa discipline phare qu'est la philosophie, je voudrais rappeler les travaux de monsieur René DESCARTES qui soulignait, entre autre, la relativité de l'intelligence de l'homme, et sa capacité à se sentir suffisamment intelligent, vu qu'il l'auto-évalue.

Et au passage, j'ai une pensée pour Michel COLUCCI, dit Coluche, ayant repris cet élément de réflexion de DESCARTES, mort ce jour 19 juin, mais de l'an 1986.